Entretien avec Matthew Croxen, Ph. D.
Pour suivre l’évolution du SRAS-CoV-2 et orienter la réponse du Canada à la COVID-19, il a fallu accroître la capacité de séquençage génomique et d’échange des données au pays. Nous avons demandé à Matthew Croxen, Ph. D., coprésident du Groupe de travail sur le renforcement des capacités du Réseau canadien de génomique COVID-19 (RCanGéCO), de nous parler de l’évolution du séquençage au cours de la pandémie et de ce qu’elle signifie pour les Canadiennes et les Canadiens.
M. Croxen est responsable de la génomique en santé publique (Alberta Precision Laboratories) et professeur adjoint au Département de médecine de laboratoire et de pathologie de la Faculté de médecine et de dentisterie de la University of Alberta.
« À mon avis, il y a maintenant plus un changement de cap et une prise de conscience que la génomique est le prochain outil de la surveillance des agents pathogènes pour les laboratoires de santé publique […] La capacité que nous avons mise en place grâce au RCanGéCO, et en général tout au long de la pandémie, peut servir pour d’autres maladies infectieuses telles que les pathogènes d’origine alimentaire, l’influenza, la tuberculose et les bactéries résistantes aux antimicrobiens. »
– Matthew Croxen, Ph. D.
Décrivez-nous votre travail dans le RCanGéCO?
Au cours des deux dernières années, nous avons participé au renforcement de la capacité de séquençage génomique — depuis l’octroi de financement pour le matériel de séquençage jusqu’à la formation du personnel — ici en Alberta et partout ailleurs au Canada, pour réussir à contrer les variants du SRAS-CoV-2 et les pandémies futures. Au début de la pandémie, le renforcement de la capacité de séquençage était le besoin le plus urgent dans les laboratoires de santé publique provinciaux et territoriaux du pays. Nous avons également reconnu qu’il fallait aussi doter certains hôpitaux d’une petite capacité de séquençage.
Comment la capacité de séquençage de l’Alberta a-t-elle changé au cours de la pandémie?
Nous avions un peu de capacité de séquençage au début de la pandémie, mais pas beaucoup. Il y avait un technologue qui s’efforçait de comprendre la méthodologie du laboratoire et de s’habituer au séquençage d’un nouveau virus à ARN dont nous savions très peu de choses. Nous n’avions à ce moment-là qu’une capacité de séquençage à Edmonton. Nous effectuons maintenant du séquençage dans des laboratoires dotés de divers séquenceurs à Calgary et à Edmonton. Nous disposons aussi aux deux endroits d’un plus grand nombre de personnes formées et nous séquençons entre 800 et 1 000 génomes de SRAS-CoV-2 par semaine, grâce à cette capacité.
Comment le séquençage génomique a-t-il orienté la réponse de la santé publique de l’Alberta à la COVID-19?
Nous avons pu rapidement fournir de l’information sur le virus et les nouveaux variants préoccupants. Le séquençage nous donne un aperçu détaillé de la composition génétique du virus, ce qui nous permet de repérer les différences dans le profil mutationnel d’un échantillon donné. Nous pouvons aussi déterminer si un virus SRAS-CoV-2 est un variant préoccupant, ce qui a vraiment contribué à orienter la santé publique, car nous pouvons rapidement savoir quels variants circulent. Lorsque le variant Alpha (B. 1. 1. 7) a été annoncé la première fois au Royaume-Uni, notre séquençage nous a permis de rechercher le profil mutationnel dans les génomes du SRAS-CoV-2 recueillis au Canada, confirmant ainsi que le variant Alpha circulait ici aussi.
En Alberta, nous avons aussi associé le séquençage à un test de dépistage rapide des variants. Ce test est rapide et peut détecter différents variants préoccupants. Quand on a commencé à parler d’Omicron, Delta était encore le principal variant en circulation au Canada. Comme nous pouvions utiliser ce test de dépistage rapide pour identifier les variants Delta, nous avons pu concentrer nos efforts de séquençage sur les autres variants que Delta, ce qui nous a aidés à reconnaître rapidement la présence d’Omicron en Alberta.
Le Portail canadien de données de VirusSeq a été lancé en avril 2021 pour faciliter l’échange de données du SRAS-CoV-2 partout au Canada et aider les chercheurs à résoudre des problèmes futurs de santé publique. Comment les chercheurs utilisent-ils ce nouvel outil?
L’Alberta et la plupart des provinces contribuent au Portail canadien de données de VirusSeq. Il s’agit d’une solution de rechange à une autre archive publique appelée GISAID, qui héberge des millions de génomes du SRAS-CoV-2 de partout dans le monde. Le Portail canadien de données VirusSeq n’héberge que des génomes canadiens du SRAS-CoV-2. Il s’agit en quelque sorte d’un guichet unique d’accès aux données de séquençage canadiennes, ce qui évite d’avoir à trier tous les génomes du SRAS-CoV-2 du monde dans GISAID.
Le portail de VirusSeq est public, de sorte que les chercheurs ont un accès libre aux données pour leurs travaux. Des chercheurs de tout le Canada étudient certaines des différentes lignées du SRAS-CoV-2 et tentent de modéliser la valeur sélective et les taux de croissance de certains variants dans différentes provinces. Il y a quelques jours, un chercheur m’a contacté pour me poser une question sur la fréquence d’une certaine mutation dans son gène cible. J’ai pu rapidement, en quelques heures, télécharger les 180 000 génomes canadiens du portail de VirusSeq et lui communiquer la distribution des mutations dans ce gène à partir des virus SRAS-CoV-2 circulant au Canada depuis le début de la pandémie. VirusSeq est un outil puissant pour répondre aux questions des chercheurs, offrant un accès rapide et ouvert au contexte canadien de la pandémie de SRAS-CoV-2.
Les activités et les investissements du RCanGéCO ces deux dernières années auront-ils des répercussions au-delà de la pandémie actuelle?
À mon avis, il y a maintenant plus un changement de cap et une prise de conscience que la génomique est le prochain outil de la surveillance des agents pathogènes pour les laboratoires de santé publique. Le séquençage des génomes fournit beaucoup plus d’information que les méthodes traditionnelles de typage utilisées pour la surveillance des agents pathogènes, souvent limitée à une petite portion du génome et ne comportant souvent aucun séquençage. La capacité que nous avons mise en place grâce au RCanGéCO, et en général tout au long de la pandémie, peut servir pour d’autres maladies infectieuses telles que les pathogènes d’origine alimentaire, l’influenza, la tuberculose et les bactéries résistantes aux antimicrobiens. C’est là un aspect important du travail du Groupe de travail sur le renforcement des capacités du RCanGéCO : augmenter la capacité pour le SRAS-CoV-2, mais jeter aussi les bases de la surveillance d’autres agents pathogènes. Un grand nombre des laboratoires de santé publique du Canada sont maintenant capables d’accepter différentes priorités de surveillance d’autres maladies infectieuses importantes. Nous disposerons de plus d’outils et de capacités pour mieux surveiller les maladies infectieuses, mais aussi travailler en collaboration, comme nous l’avons fait pour le SRAS-CoV-2.
Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli pour relever le défi de la COVID-19, mais il y a encore beaucoup à faire et de grandes questions encore sans réponse. Comment allons-nous maintenir cet élan? Comment le rendrons-nous durable et continuerons-nous de travailler ensemble? Le financement du RCanGéCO pour le renforcement des capacités a aidé à jeter les bases de la recherche de solutions à toutes ces questions et donné aux laboratoires canadiens de santé publique les moyens de réussir à l’avenir.
Le Réseau canadien de génomique COVID-19 (RCanGéCO) a pour mission de relever le défi de la COVID-19 en produisant les données accessibles et utilisables des génomes viraux et humains pour orienter les décisions stratégiques et les décisions en santé publique, et mettre au point des traitements et des vaccins. Ce consortium pancanadien est dirigé par Génome Canada, en partenariat avec les six centres de génomique régionaux, le Laboratoire national de microbiologie et les laboratoires provinciaux de santé publique, les centres de séquençage du génome (par le truchement de CGEn), les hôpitaux, les universités et l’industrie dans l’ensemble du pays.
Photo : Dépistage de la COVID-19 au South Health Campus, à Calgary.